Connue sous le nom de sénevé depuis l’Antiquité et originaire comme beaucoup d’autres plantes, d’Inde et de Chine, c’est pourtant en France qu’elle va gagner ses lettres de noblesse. Dès le Moyen-Âge, toutes les régions de vigne produisaient leur moutarde : en effet, les graines (500 000 au kilo !) écrasées et mélangées au vinaigre issu du vin « tourné » ou vinaigre, permettaient d’obtenir un condiment piquant. Les épices étant par ailleurs rares et chères, c’était là un moyen de relever à bon compte les plats souvent fades puisque le sel, soumis à l’impôt (la gabelle), était économisé.
Ainsi, dès le XIVe siècle, La Bourgogne et Dijon vont s’en faire une spécialité ; la devise de la ville est, clin d’œil à son produit phare : « moult me tarde ». En 1752, un Dijonnais, Jean Naigeon, va substituer le verjus (jus du raisin non parvenu à maturité) au vinaigre. Cette recette va asseoir définitivement la renommée de la moutarde de Dijon.

Il existe de multiples recettes de moutarde et chacune est originaire d’une région avec ses propres ingrédients et ses spécificités. Elle se présente sous 2 formes : la moutarde fine et la moutarde en grains. Toutefois, c’est la moutarde dite noire (brassica negra) parce que ses graines passent du rouge au noir après la phase de maturation qui est utilisée pour l’alimentation.
A tout seigneur, tout honneur, la moutarde de Dijon est une moutarde forte, composée de graines de moutarde, verjus, sel. C’est avec elle que se prépare la mayonnaise traditionnelle. Il en existe une variété aux graines à peine écrasées mélangées à la pâte, plus douce en goût, dite moutarde à l’ancienne.
Qu’elles accompagnent les bratwurst ou nappent le hamburger, la moutarde allemande et la moutarde américaine sont deux moutardes douces par adjonction de sucre ou de miel (French's est la plus connue).
Enfin, il ya des moutardes plus rares et beaucoup plus typées :
- La moutarde à la tomate avec des tomates séchées broyées.
- La moutarde provençale à laquelle on a ajouté des poivrons rouges, de l’ail, du vin blanc et des fines herbes.
- La moutarde violette de Brive, préparée avec du moût de raisin.
C’est à elle que l’on doit la création d’une charge papale, le « moutardier du Pape », grâce à Clément VI, du temps où Avignon était le cœur de la chrétienté.
- La moutarde du Beaujolais, de teinte rouge obtenue par broyage des graines avec du vin et à la texture grumeleuse.
- La moutarde à la violette, spécialité de Toulouse, à laquelle sont
rajoutés des sucs de violette.
Il suffit d’aller musarder dans les rayons « Gourmet » et les épiceries fines pour se rendre compte que les producteurs rivalisent d’imagination et que peu de fruits, légumes, épices ou aromates (figue, cassis, estragon, miel) soigneusement dosés et cuisinés échappent aux moutardes aromatisées.

On aurait tort de réduire l’usage de cette plante à ses graines. Depuis fort longtemps, les feuilles et les fleurs ont été utilisées par l’homme.
C’est d’abord une plante facile à cultiver qui a la caractéristique d’enrichir les sols dans lesquels elle pousse. Autrefois utilisée pour raccourcir les temps de jachère, elle constitue aujourd’hui un engrais « vert » pour l’agriculture biologique. On consomme les feuilles cuites ou crues, au même titre que les épinards et aussi les inflorescences qui ressemblent à des petits brocolis. Les fleurs, d’un beau jaune vif garnissent les salades et sont comestibles.
Je vous livre quelques maximes de moutardier qui souligne ses bienfaits : « les médecins déconseillent souvent la moutarde, car elle leur enlève des clients » ou bien « un repas hâtif sans moutarde est une digestion pénible assurée ».
La moutarde a de grandes vertus thérapeutiques. Elle est très riche en vitamine C, donc fortifiante, anti-fièvre et antiseptique. Qui d’entre vous ne se souvient des cataplasmes de farine de moutarde ou sinapismes Rigollot (sinapis est le nom latin de la moutarde) ? Maman enfermait soigneusement cette pâte chaude et odorante entre deux serviettes avant de la déposer sur la poitrine pour nous enlever cette vilaine toux des mois d’hiver. Cela brûlait un peu au départ, mais ensuite cette onde chaude envahissait le corps affaibli avec bienfaisance. J’en adorais l’odeur et j’en ai encore le souvenir à simplement l’évoquer…
L’huile de moutarde est excellente contre le torticolis et les rhumatismes, mais elle a une vertu plus précieuse encore : elle tonifie et embellit les cheveux. Les Indiens, hommes et femmes, s’en enduisent quotidiennement la chevelure, à tel point que les cheveux, selon qu’ils sont oints ou non d’huile de moutarde sont une marque de l’extrême pauvreté ; c’est donc un critère de sélection utilisé par les organisations caritatives en Inde : les très pauvres ont les cheveux secs et ternes.
Pour mémoire, on tire des fleurs de moutarde un élixir censé aider à retrouver la joie et la paix intérieure ; il permettrait de traverser les jours sombres avec calme et sérénité… C’est en tout cas ce que promettent marabouts et autres griots en Afrique et…au Panama.

Pourquoi fabrique-t-on de la moutarde de Dijon aux Etats-Unis ou en Hollande? A cause d’un arrêt de la Cour de Cassation (française) qui, en 1937, statua que l’appellation « moutarde de Dijon » correspondait non à un terroir, mais à une recette. Comme les recettes tombent dans le domaine public dès leur création, il n’y a pas d’Appellation d’Origine Contrôlée, ni d’Indication Géographique Protégée. Seule une dénomination garantit le respect de critères de fabrication. Cela dit, dès qu’on ouvre le pot, la différence se sent et se goûte. Tous ceux qui viennent de France nous rendre visite ont quelques pots dans leurs valises.
De triste mémoire, l’ypérite, dit gaz moutarde à cause de son odeur, fit des ravages dans les tranchées de la Grande Guerre. Il faudra pourtant attendre 1988 pour le voir interdit par une convention internationale sur les armes chimiques. Seulement 1988 !!! J'ose un mauvais jeu de mots: il y a de quoi avoir la moutarde qui monte au nez !!
