Quand Renault confia la charge de la campagne publicitaire pour la R14 à Publicis, la firme ne savait pas qu’une erreur d’image allait leur coûter un des flops les plus cuisants de leur histoire. Croyant que la voiture incluse dans une douce silhouette de poire donnerait confiance aux futurs clients, ceux-ci, au contraire, ne virent dans l’association de la voiture avec le fruit que la promesse d’être « des poires » et le modèle engorgea les stocks d’invendus…
La poire n’a donc pas toujours bonne presse et la langue française regorge d’expressions et de proverbes où la poire tient sa place. "Être une bonne poire", c’est être naïf. Quand elle désigne la tête ou le visage, s’en "prendre plein la poire" peut tourner au cauchemar : le roi Louis-Philippe dut supporter sa caricature à la une des gazettes tout au long de son règne. "Couper la poire en deux" est le signe d’un compromis pacifique. A partir du XIVème siècle, "entre la poire et le fromage" désignait le moment où la poire servait de pause rafraîchissante avant d’attaquer le fromage qui en marquait la fin du repas . Enfin, sinistre souvenir du temps où les interrogatoires ressemblaient le plus souvent à des séances de torture, la « poire d’angoisse » était le petit instrument métallique à ressort que l’on introduisait en force dans la bouche pour empêcher de crier.

La poire est LE fruit du Moyen-âge, même si les Romains en avaient déjà sélectionné une quarantaine de variétés. Dans le Pays de Chinon, on continue à préparer les « poires tapées » à la manière ancestrale : les poires sont épluchées, desséchées au four à bois, puis littéralement aplaties par les rouleaux d’un petit laminoir. Elles se conservent ainsi très longtemps et prennent peu de place, mais elles se révèlent quand on les réhydrate dans un vin doux ou un alcool ; elles sont excellentes également en confitures. Le cidre tiré de ces poires est bien meilleur que le poiré classique. C’est pour les poiriers royaux que Monsieur de la Quintinie palissa le premier les murs des jardins de Louis XIV à Versailles.
En version salée ou sucrée, elle se plie à toutes les combinaisons et, bonne fille, met en valeur tout ce qu’elle accompagne.
Elle se drape volontiers de cannelle, vanille et cardamome, mais crée la surprise avec le paprika, le cumin, le gingembre et la coriandre fraîche. Ce faisant, elle offre ses services aux tagines d’agneau ou aux curries de poulet et adoucit la force de la viande de gibier. Elle apporte sa finesse à un magret ou à une escalope de foie gras poêlé. Entière ou compotée en chutney, elle se marie à toutes les viandes.
La poire sublime le fromage. Associez-la avec une pâte pressée comme le Comté, l’Emmental ou mieux, l’Ossau-Iraty. Prenez une tartine taillée dans un bon pain, un fromage persillé comme le Roquefort, le Bleu d’Auvergne ou la Fourme d’Ambert, et une fine tranche de poire moelleuse : que du bonheur…
Vous connaissez tous les poires pochées au vin rouge avec du miel et de l’anis étoilé. Mais les avez-vous goûtées en sabayon de champagne ?
Comme pour tous les fruits de nos campagnes, l’alambic a fait son œuvre et l’eau-de-vie de poire réchauffe les fins de repas et rehausse les sorbets.

Enfin, elle n’a pas son pareil pour faire fondre le chocolat. La poire Belle Hélène, pochée et nappée d’une sauce au chocolat, date de 1864 avec le triomphe de l’opérette d’Offenbach « la Belle Hélène » et en l’honneur de la cantatrice Hortense Schneider, maîtresse de Napoléon III et de son demi-frère le duc de Morny. En tarte, mais aussi en crumble, dans des muffins avec des pépites de chocolat, un marbré, en sorbet, séchée pour les 13 desserts provençaux, il n’y a pas une forme de dessert dans laquelle on ne puisse lui faire une place. Il me restait 3 poires dans le frigo, qui attendaient tristement.
Ayant retrouvé des carrés de pâte feuilletée en faisant le bilan de mon congélateur, je les ai recouverts d’un nuage de sucre, de tranches de poire et de vanille en grains : un petit dessert vite fait et savoureux...
