mardi 15 décembre 2009

PAIN PAS PERDU

A l’heure où l’on se prépare à faire des repas pantagruéliques et où déjà se profilent les bons plans diète de janvier, les journaux nous rappellent qu’un milliard de personnes ont faim dans le monde… Dans une démarche pleine de bon sens, la France vient de changer sa législation en autorisant désormais les boulangers à distribuer gratuitement leurs invendus du jour, alors que, jusque là, tout était systématiquement jeté à la poubelle quand ce n’était pas arrosé de Javel pour empêcher la récupération par les nécessiteux…

Je n’aime pas jeter les restes et je m’ingénie toujours à recycler, mais en matière de pain, cela me semble un véritable péché de me débarrasser du moindre croûton. Au Panama plus encore, car nous achetons au prix fort une baguette pour sa ressemblance avec le pain français. Nous devons donc judicieusement calculer la bonne quantité à sortir du congélateur.
Il existe mille et une recettes pour recycler le pain non consommé. Le problème dans ce pays est l’humidité : un morceau oublié se transforme en 3 jours en un tas de moisissures, et plus vite encore en période humide.

La première solution est donc de griller les tartines du matin à partir des restes de la veille. Cependant, il faut les consommer de suite, car, avec ce climat, le pain grillé vieillit mal. Les tartines grillées s’accommodent volontiers d’une soupe bien chaude et revigorante versée dessus.
On a toujours la solution de pousser la cuisson et transformer en chapelure. Mais j’en ai déjà un plein bocal et, somme toute, à part la viande panée, je l’utilise très peu.
Il y a aussi la reconversion en croûtons, aillés ou non, rôtis au four, qui garnissent une salade ou servent de trempette dans du fromage fondu avec un peu de vin blanc et une goutte de kirsch, à la manière d'une fondue savoyarde.

Le pain perdu est une bonne manière de recycler quand on a suffisamment de matière. Personnellement, je préfère pour cet usage le pain de mie dont on trempe les tranches dans du lait sucré et aromatisé la veille avant de les passer dans l’œuf battu et cuire dans le beurre chaud. Les Américains appellent cela le French toast et le saupoudrent volontiers de l’incontournable cannelle. On le trouve dans tous les brunchs, de New York à Los Angeles, preuve que l’influence française ne s’est pas arrêtée aux French fries. Notez qu’au moment du boycott anti-français, si les Américains ont débaptisé les frites, vilipendé le foie gras et jeté le Champagne dans les rivières, ils n’ont pas poussé le patriotisme jusqu’à se priver d’une gourmandise dont ils raffolent…

Dans la même veine, on passe carrément au pudding, chocolaté ou non, qui peut accueillir toutes les fantaisies : épices et fruits confits pour la version classique, mais pourquoi pas également fruits frais comme la poire ou la banane qui donne un peu plus de légèreté à la texture d’un dessert somme toute nourrissant.

Quand, suite à un mauvais calcul, il reste carrément des demi-baguettes, je fais des panini avec tout ce que j’ai dans le frigo. La demi-baguette est coupée en sandwich, tartinée de beurre ou de moutarde. J’alterne ensuite tranches de tomates avec sel, poivre et herbes de Provence, restes de poulet ou miettes de thon ou lamelles de jambon, feuilles de salade, tranches de fromage (avec du chèvre, c’est meilleur !), bref tout ce qui est bon et que je vais perdre. Je le presse ensuite dans un gaufrier pour bien écraser et faire en sorte que les saveurs se mélangent. Une astuce : quand on presse bien fort, la garniture a tendance à s’échapper : tout cela se transforme en charbon et bonjour ensuite le grattage des plaques !!! J’ai modifié la méthode : j’enroule bien serré mon panini dans du papier sulfurisé : plus rien ne coule, pas de perte de garniture et mes plaques sont toujours propres.

Une autre version est la fausse pizza que les Italiens appellent bruschetta; eux ont un pain spécial, à la mie suffisamment serrée pour ne pas s’imbiber trop vite de la sauce. Pour ma part, la baguette coupée en long offre la protection de sa croûte. Un filet d’huile d’olive, des tomates, voire même de la pulpe en boîte, des oignons et de l’ail en lamelles, de l’origan ou du thym et du fromage râpé, c’est la base. Après, toutes les fantaisies sont permises : mozzarella, mais aussi chèvre ou camembert, et pourquoi pas des anchois, du chorizo, des olives… Au four et hop, un petit repas sympa avec une salade verte !

Quand on a fait le tour de ces recettes anti-gaspi, il nous reste les farces. Il n’est pas de bonne farce sans pain et il faut que ce pain soit obligatoirement rassis, sous peine d’obtenir une farce collante et compacte, bref, étouffe-chrétien.

Le dénominateur commun est du pain rassis donc, coupé en dés, débarrassé ou non de sa croûte, et trempé dans de l’eau, du bouillon ou du lait. Une fois ramolli, il suffit de le presser et de le mélanger à la viande, la chair à saucisses, les herbes, les légumes, sans oublier l’œuf battu en omelette qui va compléter le liant. A vous les farcis de nos tables d’été avec tomates, oignons, poivrons, courgettes, pommes de terre (préalablement bouillies), feuilles de chou blanchies et champignons….

Mais, au-delà de tous ces bons moyens de ne pas jeter le pain, il est une recette pour laquelle, non seulement, on ne jette pas le pain, mais en plus, on le garde précieusement toute la semaine précédent la préparation. C’est une recette qu’on ne fait qu’une fois l’an, non parce qu’elle est chère (au contraire !), mais pour respecter la tradition. Ce sont les petits pains du « Potaje Viudo », plat que l’on mange le Vendredi Saint, pour faire carême, et qui est si savoureux que cela n’en est plus un sacrifice… Cette potée, comme son nom l’indique, est veuve de viande. Très nourrissante, elle se compose de haricots, de pommes de terre, de citrouille, de côtes de blette sur la base d'un revenu de tomates et oignons. La version originale demande du blé ou du riz ; aujourd’hui, on met des petits coudes.

Le secret de ce plat consiste en ces petites boulettes de pain qu’on place dans l’assiette avant de les arroser de la potée. Je trempe le pain rassis sans croûte dans de l’eau tiède et, après l’avoir pressé, je le triture avec les doigts (rien de mieux que les mains, propres, bien sûr, pour « sentir » !) avec des œufs battus, de l’ail et du persil, sel, poivre et surtout, de la noix de muscade râpée. Il suffit ensuite de façonner des petites quenelles que je roule légèrement dans la farine pour les empêcher de coller. Il reste à les faire dorer dans un fonds d’huile chaude.

En cherchant un moyen de se priver, on a créé une gourmandise qui va à l’encontre de l’esprit de recueillement de ce jour-là : mais tant pis, on se confesse après…

Demain pas de billet pour cause de vaccination contre cette maudite grippe. Mais nouvelle chanson sur le blog...