jeudi 10 décembre 2009

LE CHAPON, ROI DES FÊTES

Avec ce qui nous attend dans quelques jours, nous avons pris la ferme décision d’entamer une phase d’acclimatation de l’estomac, pour qu’il ne s’affole pas devant les surcharges à venir. Nous avons donc commencé ce 8 décembre avec l’anniversaire de Richard. Comme je vous l’avais précisé dans mon dernier billet, chacune avait pris en charge une partie du repas et la pièce maîtresse en était 2 magnifiques chapons farcis qui sont partis au four juste frottés au sel et au poivre, sans graisse additionnelle, la leur étant suffisante.

Autant vous dire que le chapon est ici une pièce de roi qu’on ne trouve qu’en cette saison de fêtes et il nous vient des Etats-Unis. Le chapon est tout simplement un coq castré. La volaille est engraissée au minimum 150 jours et sa nourriture est sélectionnée : 75% de céréales, puis, 1 mois avant son abattage, des produits laitiers. La castration, la nourriture et son enfermement dans une cage obscure, l’épinette, permettent au chapon d’avoir une chair plus tendre ; d’autre part, au lieu de développer une couche de gras autour des muscles, il « picore sa chair », c’est-à-dire que sa graisse s’insinue dans les fibres pour donner une viande persillée et moelleuse.

Comment est donc venue l’idée de castrer la volaille ? Grâce au génie humain qui s’évertue sans cesse à contourner les lois contraignantes…En 162 av. JC, la Sicile, grenier à blé de Rome, subit de mauvaises récoltes et la disette menace… Dans le but de l’économiser et de le réserver à la consommation humaine, le Senat contingente la consommation du précieux grain et interdit l’élevage de poules au motif qu’elle en est trop gourmande. C’est alors que les éleveurs constatent que le coq, castré, prend rapidement du poids, donc épargne des jours de nourrissage et permet de contourner la loi (ce n’est pas une poule et il mange moins…). Le chapon est lancé.
                  
Jusqu’au XIXème siècle, Le Mans était LA région du chapon. Aujourd’hui, en France, le chapon de Bresse est le seul à bénéficier d’une A.O.C. et la volaille doit avoir au moins 8 mois dont 7 de vie au grand air. Sur les étals, il est impossible de le confondre avec un autre : il est emmailloté dans un linge blanc très serré et ne dépasse que le cou encore garni de ses plumes. Pourquoi cet emmitouflage ? D’abord pour lui donner une forme plus allongée propice à une cuisson régulière ; ensuite, pour empêcher la graisse de quitter les muscles pour se placer en périphérie.

D’autres pays sont fameux pour leur chapon : le chapon italien (cappone) dispose de la certification P.A.C. (Prodotto Agroalimentare Tradizionale) pour les régions de Vénétie, Frioul, Marches et certaines communes du Piémont. Au Portugal, c’est le chapon de Freamunde qui vient de recevoir une appellation d’origine protégée. Sont également appréciés les chapons espagnols de Villalba et Cascajares.

Loin de la volaille noble, pour le Marseillais, le mot de chapon évoque un poisson. C’est l’autre nom de la rascasse rouge, au corps trapu et à la tête massive. Ce monstre des rochers est doté d’épines dorsales venimeuses qui infligent des blessures extrêmement douloureuses. Il est surtout connu pour sa participation spectaculaire à la fameuse bouillabaisse. En Croatie où il est abondant, ce poisson est fendu le long de l’arête centrale, salé, poivré et badigeonné d’huile d’olive. Placé sur la grille du barbecue côté peau, il révèle une chair blanche, ferme et succulente,


Le chapon n’est pas que la volaille royale qui trône sur nos tables de fête. C’est aussi le sujet de nos grands écrivains ; Voltaire, dans son « dialogue du chapon et de la poularde » évoque les mauvais traitements infligés aux animaux de ferme. Racine le met en scène dans « Les Plaideurs », sa seule comédie et son plus grand succès, à l’occasion du procès d’un chien.

Le mot chapon, dans l’ancien français, désignait les revenus d’une terre autour du corps de bâtiment. Aussi, l’expression « en porter le nom, mais ne pas en manger les chapons » signifie porter le nom d’une terre (aristocratie), mais ne pas en toucher les revenus. Par contre, beaucoup plus modeste, en Gascogne comme en Normandie, le chapon est une tranche de pain, frottée ou non d’ail que l’on mouille avec du bouillon.
                          
Autant vous dire que, mardi soir, nous étions loin de ces considérations savantes... La volaille était moelleuse, parfumée ; la sauce était fameuse, Nous lui avons donc fait un sort… Les toutous se sont régalés des os. Le chapon n’est pas mort pour rien…