mercredi 2 décembre 2009

UN POISSON MILLÉSIMÉ: LA SARDINE

Ceux et celles qui me connaissent savent que le 30 novembre de chaque année, je vide littéralement ma maison pour la préparer à recevoir dès le 1er décembre les décorations de Noël qui resteront en place jusqu’au 6 janvier. C’est un véritable déménagement. J’enlève les rideaux, tableaux et porcelaines et, pendant un peu plus d’un mois, nous vivons dans la maison du Père Noël. Et pour se mettre dans l’ambiance, je me passe tous les CD de saison, de Franck Sinatra à Dean Martin…

Peu de temps donc pour cuisiner et, dans ces cas-là, on est bien contents, en guise d’entrée, d’avoir dans son placard des boîtes de sardine.

Ce petit poisson pélagique (qui vit en haute mer) est un trésor à nageoires : elle est riche en calcium et en phosphore bénéfiques pour les os ; les vitamines B3 et B6 renforcent nos cellules nerveuses et la moitié de ses lipides sont des omégas 3 qui protègent le système cardio-vasculaire. Il est hautement recommandé de donner de temps en temps une petite sardine écrasée à un bébé : cela lui donne le goût des bonnes choses et c’est bon pour sa santé.

La qualité des boîtes de sardine varie du tout-venant discount au produit millésimé issu en général des conserveries bretonnes. Ceci s’explique par le fait que, parfois, ce ne sont pas des sardines qu’il y a dans la boîte. Imaginez qu’on peut trouver jusqu’à 21 espèces différentes !

Peu de personnes sont au courant qu’une boite de sardines ne contient pas que de la sardine et même, pour certaines d’entre elles, pas de sardines du tout ! En effet, dans une boite on peut trouver l’une des 21 espèces de poissons utilisées à sa place. La vraie, celle qui devrait théoriquement se serrer dans la boîte, c’est la sardina pilchardus. Si vous ne voyez pas ce nom latin-là, normalement obligatoirement indiqué, c’est que vous allez acheter du hareng, de l’anchois ou de la strangomera chilienne, ces 3 espèces ayant été autorisées par la communauté européenne.
                 
En conserve, on a le choix : la sardine peut se déguster à l’huile, à l’huile d’olive, à la tomate, au citron, piquante ou non, en escabeche. Dès son arrivée à la conserverie, la sardine est étêtée, éviscérée, puis elle est mise directement en boîte ou passée au préalable dans un bain d’huile bouillante.

De 1810 à 1880, la Bretagne a eu la haute main sur la conservation de la sardine et Douarnenez était le 1er port mondial de sa pêche, avant de connaître la concurrence espagnole, portugaise et marocaine. Les boîtes de sardines issues des conserveries bretonnes comme la Quiberonnaise, la Belle Îloise ou Gonidec constituent les Rolls de la sardine en conserve. Les amateurs les gardent dans un endroit frais et sec pendant des années et les retournent régulièrement. Les spécialistes, comme Jean-Pierre Coffe qui possède une collection enviée, estiment qu’il faut 70 ans pour que la chair de la sardine s’imprègne totalement de l’huile et développe tous ses arômes. Hélas, les règlements de la même communauté européenne imposent une date limite de consommation de 2 ans ; un jour, ils finiront par nous obliger à boire le vin aussitôt mis en bouteilles : finis les Château Pétrus ou Puligny Montrachet millésimés !!!

La boîte elle-même représente une vraie réflexion. Il s’agit de ranger les sardines de manière à ne pas perdre de place et à ce que les poissons soient en contact avec l’huile ou la sauce. Il existe 2 écoles : l’une consiste à les emboîter d en « bleu », dos à l’air et l’autre en « blanc » ou ventre à l’air et de l’avis des connaisseurs, c’est la 2eme méthode qui donne les meilleurs résultats.

Pour ce qui est de la fermeture, on est passé par tous les progrès du conditionnement : la clé qui s’enroule sur la languette, l’ouvre-boîte et maintenant l’opercule.
                 
Alors, une fois la boîte ouverte, on a le choix : on peut la manger telle quelle, sur un bon bout de pain, en gardant les filets entiers ou en l’écrasant. On peut la mélanger dans le robot avec de la crème ou du beurre pour en faire des toasts.

Et puis il y a une autre recette, sublime, que je tiens de mon parrain qui nous la préparait avec soin dans sa cuisine de Monein. Il enlève l’arête centrale et la peau des sardines à l’huile piquante, puis il les écrase à la fourchette en rajoutant de l’ail ciselé très fin, un peu de nuoc-mam et de l’huile d’olive, jusqu’à obtenir un mélange onctueux. Je me souviens d’une Sainte-Barbe où nous avions accueilli la division à la maison. Tous s‘étaient montés circonspects devant la pâte sombre dans le saladier. Mais après l’avoir goûtée, j’aurais pu le rentrer dans le placard sans le laver tant ils me l’avaient nettoyé avec les doigts pour ne pas en perdre une miette !!!
                 
Quant à la sardine qui boucha le Vieux-Port de Marseille, elle repose sur une histoire vraie et une déformation de la langue.

En 1775, Monsieur de Sartines, ministre de la Marine de Louis XVI et armateur de son état, avait donné son nom au fleuron de sa flotte personnelle. Cette merveille imposante était commandée par le Chevalier de Peil (poisson en provençal). En mai 1775, bravant un fort Mistral, le « Sartines » prend la mer, lourdement chargé, à destination de Constantinople mais, par suite d’une fausse manœuvre, se couche par le travers entre les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas qui ferment le Vieux-Port. Tout Marseille s’esclaffe en déclarant que «le Sartines et le Peil ont bouché le port ». La rumeur court et se transforme en « la sardine et le poisson ont bouché le port » et quand elle arrive dans des oreilles non averties de l'affaire, il reste une sardine suffisamment grosse pour bloquer un port… On ne s’en étonnera pas, tant le Marseillais a la réputation d’exagérer !!!!